De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

jeudi 30 juillet 2015

La lumière du Détroit


La lumière du Détroit, passé Gibraltar,
soudain la côte a disparu, aucun appui,
désespéré, le regard suit les mouettes,
toujours au fond des yeux, du ventre,
dans une vitrine un petit paquebot,
clichés idylliques, fades,
mais la moiteur des embruns sur le pont,
petit matin hésitant entre brume et mirage,
l'odeur de café au bar du salon,
les rues sont de plus en plus étroites,
j'ai dû perdre le fil, l'amour du large,
le ciel a la minceur d'une feuille,
derrière un carreau un visage,
on pourrait toucher bras écartés
les briques brûlées par le couchant,
les Gorges de Samaria ne sont rien
à côté, si belles cependant,
si profondes, qui mènent à la mer,
là, une cité troglodyte, une vie secrète,
la rue s'enfonce dans un dédale d'ombres,
je m'attends à voir un dauphin à la proue,
une fenêtre laisse voir une lampe, un tableau,
Tarifa, écaille blanche sur la plage,
dans un halo bleuté, l'Espagne s'éveille,
le froid transperce le corps giflé
par le vent d'est, souffle des dieux,
les murs de briques se dressent,
pas un bruit, je m'arrête de marcher,
sait-on en quel lieu se déroule la vie,
je fais des ronds dans l'eau
sur un trottoir médiéval,
accoster m'a toujours été difficile,
là-bas, où l'air marin chante la beauté
des poissons volants,
je comprends que les voiles se perdent,
tu sais, pour les rejoindre, fermer les yeux.

(30 juillet 2015)
Toulouse, 28 juillet 2015, 17h07. ©JJMarimbert


mercredi 29 juillet 2015

Sous un ciel de Giotto


Sous un ciel d'un Giotto craquelé,
les statues avancent vers la mort,
reflets de couloirs gris, le marbre ondule,
lieu éparpillé aux quatre coins de la nuit,
mais non, c'est bien là, l'air est dilaté,
les sons se répandent en pulsations nacrées,
des bruits de pas clouent les tympans à vif,
la musique des corps, souples et chauds,
que se passe-t-il, j'ai beau tourner la tête,
personne ne sait ce qui arrive, 
visages penchés sur ce qu'ils cachent
au fond d'eux-mêmes, à l'affût,
paysages africains, américains, indiens,
des canyons, des séquoias,
des temples couverts d'écume,
un puits perdu au cœur des dunes,
chameau tombé dedans, il faut marcher,
aller plus loin, peut-être y a-t-il un village,
un couple s'éloigne, un avion raye la vitre,
le soleil ne se couche jamais,
il faut que je dorme, la fièvre gagne mes os,
les banquettes molles sentent le café froid,
attendre, encore attendre, où es-tu,
la vie se passe à guetter le parfum de ta peau,
si je ferme les yeux, j'entends
les gouttes d'eau tomber des hautes futaies
où les oiseaux nichent,
il n'a pas plu depuis si longtemps,
sur la valise à roulettes, des autocollants
d'hôtels de seconde zone,
les chemins sont à tracer, je me lève,
les hauts-parleurs diffusent un écho
de tamtams, de flûtes, de voix égarées,
la terre tremble sous les troncs creux
habités de divinités rongées de sel,
les femmes dansent et chantent,
dans leurs mains, Giotto a peint
des étoiles, il est temps de partir.

(29 juillet 2015)
Lyon, Aéroport, 30 mars 2012. ©JJMarimbert


lundi 27 juillet 2015

La neige, si tendre


La neige, si tendre en hiver, ne décolère pas,
sous les portes, autour des arbres,
sous les ongles et les paupières,
et jusqu'aux os transis d'étonnement,
jamais si grand froid ne s'est vu plein été,
les ramures brûlent, les fleurs s'évanouissent,
les cigales exaspérées dilacèrent les pensées
les plus folles, d'harmonie, de douceur,
mais la neige est patiente, le soleil est naïf,
le neige vient de si loin, et d'un puits si profond,
le soleil fanfaronne, fait la roue à tout va,
pourtant le blanc polaire s'incruste partout,
le cœur bat à contre-temps, les muscles bleuissent,
les traces de pas s'évaporent à peine esquissées,
les rues tremblent dans la lumière de juillet,
la neige, invisible et têtue,
au fond des regards vacants,
n'a de cesse de faire frémir la peau nue,
les rires se fendillent dans un air saturé
de poussière, dans les jardins publics,
les petits font des batailles
de pommes d'amour et d'esquimaux fondus,
de citronnade et de sirop d'anis,
les statues prennent la pose,
de leurs yeux inversés elles fixent
un horizon de banquise, je m'allonge
sur une herbe qui garde l'empreinte des rites,
de chants murmurés dans l'insouciance
du lendemain, alors la neige fond,
et quelques gouttes d'une eau essentielle
roulent au creux des paumes offertes au vent,
au moment où un vol d'oiseaux égaré
file au fin fond du ciel, l'Afrique en ligne de mire,
ses déserts, ses temples silencieux, ses forêts,
à la fontaine un petit arc-en-ciel
perce le nuage de vapeur et
se cache sous le kiosque à musique.

(27 juillet 2015)
Toulouse, Grand-Rond, 26 juillet 2015, 17h16. ©JJMarimbert


dimanche 26 juillet 2015

Il n'est plus temps de courir


Il n'est plus temps de courir après les oiseaux,
les arbres sont nus et transparents,
la rue est un torrent frangé de douceur,
les fenêtres se ferment à l'approche du jour,
les briques flambent de joie et de terreur,
le soleil perce les murs, éclabousse les toits,
il n'a que faire de vaines attentes,
d'espoirs bricolés dans l'urgence du vertige,
les braises consument les fleurs des balcons,
géraniums, azalées, hibiscus,
petits orangers boules, oliviers en pots,
sur le trottoir, les silhouettes penchées
luttent contre un vent salé,
chevelure d'une comète marine,
le fleuve est tapi sous les ponts,
l'eau racle le fond, épaisse et tourmentée,
s'accroche aux vieux vélos, meubles cassés,
roues ensablées, bouteilles d'encre noire
vidées lors de rites immémoriaux,
pour lutter contre la peur, la maladie, la mort,
il n'est plus temps de frôler les précipices,
de laisser la colère ronger le littoral,
d'attendre que la houle mette à bas la falaise,
ni falaise, ni houle, il faut sortir, aimer,
mettre au feu ces relents de nuit trouble,
et dans les poches les regards échangés,
les lèvres offertes, les cheveux étalés sur le drap,
le parfum des émois, les paroles chuchotées,
ne rien jeter, je descends l'escalier,
me retrouve au pied des cyprès,
la fraîcheur de l'ombre me plonge
dans un paysage de terre ocre jaune,
les chèvres se serrent autour des troncs,
les vieux oliviers chantent, j'aime tant les îles,
je remonte la rue jusqu'à l'avenue,
je vois le Canal, le saule pleureur, le prunus,
et le feu rouge du pont, les péniches,
l'océan est toujours là, tu sais.

(26 juillet 2015)
Toulouse, 14 juillet 2015, 17h19. ©JJMarimbert


vendredi 24 juillet 2015

Depuis quand cette porte


Depuis quand cette porte est-elle fermée,
j'aimerais le savoir, ni sortir, ni entrer,
de quel côté suis-je, je ne sais,
mais par principe, les murs sont couverts
de belles phrases, on les entendrait presque,
tant de voix possibles, d'intonations,
douce, ferme, distante, tendre, enfin,
je ne veux pas choisir, j'entends
ce que je veux entendre, mais là, rien,
la pluie couvre tout, de larges gouttes,
des galets d'eau explosent sur le parking,
la vitre claque, pourtant
ce n'est qu'un nuage, quel prétentieux,
les briques s'assombrissent,
le caniveau draine de fausses feuilles
d'automne, rougies de sang frais,
d'un vermillon si gai, des souvenirs de demain,
un pigeon disloqué est prisonnier
d'un mélange de papier, de figues écrasées,
les premières, encore vertes, quel parfum,
je pense à Tanger, le soleil se couche,
de la fenêtre du Continental,
à travers le vacarme des moineaux
qui s'engueulent dans l'énorme palmier,
des effluves de figues distillées
par l'appel du muezzin, la baie, le port
où grillent des poissons noirs,
je dois rejoindre le Canal, c'est l'heure,
je ne sais de quoi, tous les jours,
à la même heure, mon corps me mène
par le bout des yeux, le ciel est un buvard sale,
coulées d'encre, bleue, noire, jaune,
quel gâchis, le reflet dans l'eau, près du pont,
il faut que je voie ça, c'est ma vie,
je m'invente des histoires, ou je ne sors plus,
je me tais, la Garonne m'appelle,
j'y plonge comme j'entrerais
dans une cathédrale immergée,
c'est mon Atlantide, je suis ridicule,
mais la porte est fermée, depuis quand.

(24 juillet 2015)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, 24 juillet 2015, 20h07. ©JJMarimbert


jeudi 23 juillet 2015

Le jour s'étire


Le jour s'étire, sous un buisson cache sa joie,
l'heure du loup n'est pas loin,
propice aux ombres d'un autre âge,
la lumière est si chaude, il faut partir,
marcher contre le soleil oblige à lever la main,
ce réflexe des enfants craintifs, ou prudents,
sait-on d'où peut venir le coup, la caresse,
c'est étrange, les voix se font à peine entendre,
la rue chuchote, dans un ciel sans oiseau,
enfin, un martinet perdu,
très loin, la mer engloutit les rêves,
le sable lisse brille, un miroir,
les vives patientent à fleur d'écume,
la rue est écrasée par le poids des heures,
épaisse de poussière, de fatigue, de soif,
très loin, la guerre fait rage, murs vérolés,
les regards, ceux de bêtes encerclées par le feu,
le vent hésite et fait le fou,
il faut se taire, il est sensible au silence,
ne sait plus quoi penser et s'épuise,
rejoint sous un buisson ses compagnons de jeu,
le jour l'attend, demain, tu verras,
mais là, une voix, un soupir,
une phrase prise au vol,
un sourire embrassé, une épaule nue,
c'en est fini des sautes de vent,
des restes de jour, il faut la nuit,
la profondeur des pupilles,
la musique des mots retenus,
dans le souffle des corps hésitants,
très loin, une forêt s'effondre sur elle-même,
l'humus grignote les troncs,
les arbres de demain font craquer le sous-bois,
le fleuve est là, qui rêve de montagne, d'océan,
le jour se noie sous la guirlande du pont,
très loin, un orchestre joue,
les notes tremblent, les images sautent,
je ne sais pas ce qui m'arrive,
très loin, je marche dans une rue inconnue,
j'ai entendu un rire si clair, si joyeux,
cela suffit à m'éloigner d'ici, tu sais.

(23 juillet 2015)
Toulouse, 27 juin 2015, 18h15. ©JJMarimbert


mercredi 22 juillet 2015

Cette grande maison


Cette grande maison reste à construire,
où se croisent morts et vivants,
imperturbables et droits,
le mort que chacun porte
sans jamais se reconnaître,
les yeux dans le vague,
rivés à l'horizon de brume,
dans les couloirs d'un hôtel de quartier
aux murs tapissés de portraits inconnus,
les morts n'ont que faire de ces enfantillages,
ils rêvent de paysages enfouis,
de visages inaperçus,
reviennent sur leurs pas et
fixent la beauté dans les yeux,
ils parlent enfin,
je t'avais vu, je t'ai attendue,
mais le tramway, la sonnette d'un vélo,
j'ai détourné la tête, j'ai rebroussé chemin,
la rue était déserte, alors,
les morts reprennent le fil,
ils n'arrêtent pas de lier des lambeaux,
ramassent ce qui est à terre,
se moquent de savoir si celui-ci
s'accorde avec celui-là, qu'importe,
le destin est fait de chutes ensanglantées,
puis laisser le fil bariolé dans le vent,
quelqu'un attrapera le pompon du manège,
mais les vivants, aveuglés par le sable,
touchent çà et là des mains, caressent
des corps, devinent dans les regards
des portes ouvertes, et une boule
de feu tombe au creux des entrailles,
les langues sèchent, bouches entrouvertes,
les paroles tombent sur le carrelage
du vieux café, du salon chic, trop tard,
le champagne a coulé, le piano s'est tu,
merci, merci, c'était si beau,
le visage n'est plus que souvenir,
tu peux écoper, l'eau est entrée,
et rien n'arrête l'eau, ni la pierre ni le feu,
est-ce cela, au détour d'une allée,
qui teinte le regard des statues,
ni renoncement, ni pessimisme,
je ne sais quelle lassitude pétrie d'espoir,
simple présence d'un temps révolu,
d'un lendemain voilé,
le temps n'est ni passé, ni à venir,
seul compte le rythme de tes pas,
quand, soucieux de savoir si mon être
peut affronter le vide, je t'imagine danser.

(22 juillet 2015)
Toulouse, Le Concorde, 18 juin 2015, 21h21. ©JJMarimbert


mardi 21 juillet 2015

La ville est terrassée


La ville est terrassée par le silence des statues,
dans les allées du Jardin des Plantes
courent des canards affairés,
au Grand-Rond presque désert,
le banc est couvert de poussière pâle,
des traces de mains disent l'ennui,
la bouche sèche, la gorge serrée
devant les massifs d'hortensias brûlés,
un tricycle passe, cris et pleurs,
un genou saigne, quelle aventure,
sandale prise dans la chaîne,
voilà le corps jeté près de l'herbe,
main piquetée de gravier, front bleu,
à deux pas de la fontaine,
du nuage de vapeur vite dissipé
dans l'air exaspéré par le soleil,
le kiosque à musique est vide,
il ne faut pas pleurer, tu es un homme,
allez, la musique reviendra bien,
l'enfant, lui, se moque des tangos
qui font s'enlacer les êtres
dans les plaintes du bandonéon,
au contraire, il faut pleurer, hurler,
dire au monde cette insupportable
violence faite aux âmes naïves,
sinon, à quoi bon ouvrir grand les bras,
et les entrailles, les os tremblants,
lèvres humides de gourmandise,
et rire, rire, parfois comme un idiot,
devant l'abîme dévoilé
par l'éclat d'un regard malicieux,
à quoi bon se lever et courir vers la piste,
danser les yeux mi-clos, sentir les cheveux,
sentir la peau, vibrer au rythme d'une voix
venue d'on ne sait où, au-delà des océans,
juste pour soi, pour ce moment divin,
dans l'urgence de la vie et de la mort,
les statues se taisent, elles savent,
n'arrêtent pas de le chanter,
à l'une il manque une main, à l'autre
un bout de pied ou le sexe, qu'importe,
je voudrais les serrer dans mes bras,
respirer leur parfum de pierre,
m'en imprégner autant que du tien,
ne rien attendre d'autre,
dans la douceur d'une nuit apaisée.

(21 juillet 2015)
Toulouse, Grand-Rond, 19 juillet 2015, 17h19. ©JJMarimbert



lundi 20 juillet 2015

Comment l'oiseau fait-il


Comment l'oiseau fait-il,
pour n'avoir rien à garder au fond des yeux,
et laisser entrer l'herbe ou le blé,
les brindilles de la vie et de la mort,
l'ombre des feuilles
où se cache le monde, reclus,
surgissant au moindre souffle,
entre les branches agacées par la brise,
et le papillon, si délicat
malgré ses ailes démesurées,
pour ne faire qu'un avec la fleur,
le ciel, le ruisseau, le vent,
mais dès qu'un trou est percé,
par où s'invite l'immensité du dehors,
inépuisable torrent,
un dehors qui le restera,
on se tient sur le seuil,
gardien d'un puits creusé dans le sable,
tout commence et prend fin,
les images s'empilent,
et les mots, les rires, les peurs,
un indescriptible mélimélo s'enroule
autour des os,
flotte comme linge sur le fil
tendu d'un jour à l'autre,
illusion de fil qu'un rien arrache,
et laisse pendant,
menteur, pas rien, jamais,
une présence, visages et corps,
entailles dans la plénitude des choses,
alors bouleversé, happé,
soudain nager en pleine mer,
ivre d'espaces vierges,
l'oiseau vole, chante, ailleurs,
les regards cherchent où aller, où se poser,
il n'y a plus de lieu, hors le puits,
sauf à l'horizon, et tout chancèle,
menteur, il suffit de s'arrêter,
de respirer, de se taire,
de marcher, d'écouter,
ta main tremble,
les doigts tissent un fil plus solide,
j'entends fredonner un air de jazz.

(20 juillet 2015)
Toulouse, Grand-Rond, 28 juin 2015, 18h10. ©JJMarimbert