De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

mardi 30 juin 2015

Se taire


Se taire, est-ce si difficile de se taire,
que les mots s'échappent de la bouche,
avant cela de la gorge, et du ventre,
du sexe,  des yeux aussi, le corps
tout entier est plein de mots en attente,
le corps n'arrête pas de produire des mots
qui se bousculent, enfin, je n'ai pas su
me taire, je me demande pourquoi,
il faudrait interroger l'enfant qui court
en moi, et d'abord qu'il arrête de courir,
un peu, le temps de souffler, de dormir,
le silence est un désert, et j'ai soif,
ma bouche s'ouvre et des oiseaux sortent,
je les vois, ils cherchent, vol erratique,
enfin, il faut qu'ils se posent, tu le sais,
mais ne sachant où aller, ils crient,
lâchés plein ciel, je les vois tourner,
bec béant, ah, se taire,
ils filent vers les cyprès bleus d'Arizona,
la nuit est pâle, le lampadaire veille,
pas un nuage, pas une fenêtre, rue vide, rien,
ils tentent bien un retour vers mes lèvres,
paupières, narines, oreilles,
en vain, ils deviennent fous, je deviens fou,
il fait trop noir, dedans, les joies, les caresses,
les regards, les uns contre les autres,
les souvenirs, les projets, les rires, les pleurs,
serrés à étouffer, prêts à bondir,
alors les mots ne s'y retrouvent plus,
ils s'éloignent de moi,
une fois au loin, livrés au hasard,
les mots restent en l'air pour toujours,
il suffirait d'un rien pour qu'ils cessent
de tourner pour rien, ils cherchent,
et puis, tu as vu, se taire, se terrer,
troublante proximité, et si juste,
je n'ai pas su me terrer, j'aime l'air,
la lumière, l'eau, et les ombres fraîches,
et m'allonger dans l'herbe, rêver,
toujours il y a une faille, par laquelle
j'essaie de sortir, pour te parler,
tandis que derrière le volet,
au point du jour, un merle
s'époumone et chante à tue-tête,
à la conquête de je ne sais quoi.

(1er juillet 2015)
Toulouse, 18 juin 2015, 3h51. ©JJMarimbert


Chercher l'air


Chercher l'air, il manque parfois cruellement,
l'apnée s'impose comme seul être possible,
au fond d'une impasse, sans retour, alors,
la bouche s'ouvre, appelle, pas un son,
non, pas un appel, qui appeler,
tout est si loin, si mystérieux, même soi,
le simple fait de la présence est une énigme,
le silence s'impose, lourde chape, et soudain
une vaine aspiration, un réflexe de survie,
un appel d'air, voilà, chercher l'air,
le corps est figé, dans l'attente, dans l'espoir
d'un espace intérieur, je ne sais pas dire,
les yeux sont perdus, n'accrochent rien,
égarés dans leurs petites loges,
l'air manque du dedans, en réalité,
mais dedans c'est vide, vide en négatif,
le positif existe, voir un tableau, s'émouvoir,
écouter de la musique, qu'est-ce qui m'arrive
tout d'un coup, accueillir une voix, des mots,
un visage offert au milieu de la nuit,
mais le négatif n'ouvre sur rien,
qu'est-ce qui m'arrive tout d'un coup,
je m'imagine que l'air va remplir ce vide,
alors qu'il se passe tout autre chose,
l'air manque partout, partout,
dans les arbres, sous les bancs du parc,
au bord du verre, sur la table,
le soleil est coincé entre deux branches,
et dans le livre même, les phrases suffoquent,
c'est étrange, pas d'air, la peau frissonne,
alors je cherche, avec les mains, les narines,
de l'air, c'est idiot, et puis quelque chose grossit,
qui vient d'en bas, enfin, du creux de l'estomac,
les yeux ont compris, ils flottent ici et là,
c'est seulement une envie de rire ou de pleurer,
c'est tout, mais pour ça, j'ai besoin d'air,
je ne sais pourquoi, ou bien est-ce
qu'il est invisible, comme l'envie de rire,
et plus encore de pleurer, retenue,
qui fait que dedans, tout se replie,
tombe dans le vide, l'air de rien,
la lumière se trouble, un enfant court
après son ballon, son rire se cache
dans un massif de roses floues.

(30 juin 2015)
Toulouse, Grand-Rond, 28 juin 2015, 18h10. ©JJMarimbert


lundi 29 juin 2015

Le verre est retourné…


Le verre est retourné pied en l'air,
métaphysique de la transparence,
encore un jeu d'enfant désœuvré,
oh quel état merveilleux, ce vide,
non, pas le grand ennui de Steiner,
héraut catastrophique des barbares
qui plongent la nuit dans l'obscurité,
mais le fin flottement du temps nu,
où suinte l'huile de l'ennui, tenace,
profond, créatif, d'où naît l'inconnu,
l'aventure, au sommet d'une falaise,
se jeter, imiter les fous de Bassan,
ces poignards blancs tu sais, si purs,
les cris aigus piquent le bleu du ciel,
la roche tremble de joie dans le soleil,
entrelacs subtil des existences avides,
alors retourner le verre sur la table,
coincer la mouche du petit déjeuner,
mille fois revenue sur la toile cirée,
à quoi pense-t-elle donc, à l'enfant,
peut-être, elle lui prête son destin,
faire feu de tout bois pour résister,
frotter l'une contre l'autre les pattes,
elle est un peu comme Ponce Pilate,
avant, arrière, faire comme si de rien
n'était, se laisser prendre au jeu de
la transparence du verre, les yeux
exorbités, opaques, d'une naïveté
sans limite, l'innocence de la vie,
la guerre est partout, la mort aussi,
alors écarquiller les yeux, à l'affût,
de tout, le temps se crispe d'un coup,
l'insecte noir est immobilisé, extase,
l'enfant saisit le verre, et la mouche
est dessous, elle finit sa toilette, ivre
de sucre chipé sur la tartine abricot,
il faut bien, mais la transparence, là,
ironique proximité, l'enfant jubile, rit,
oui, maintenant, le monde est disloqué,
c'est intenable, tout va s'écrouler, alors
il faut se jeter de la falaise, voler, crier,
les nuages moutonnent, quelle lumière,
la mer attend, belle, douce, profonde,
nager, tandis que la mouche se meurt,
il suffirait de lever le verre, le cœur bat,
et la mouche court sur la paroi, affolée,
l'enfant est triste, l'ennui est une porte à
franchir, sauter sur le dos de la mouche,
rêver, filer au ras de l'eau avec les fous,
le verre se brise sur le carrelage bleuté,
je fredonne un air, Isn't this a lovely day,
Ella, Louis, si près, si loin, tu sais cela.

(29 juin 2015)
Paris-Toulouse, En vol, 23 avril 2015, 19h03. ©JJMarimbert


vendredi 26 juin 2015

La rue ensoleillée suffoque…


La rue ensoleillée suffoque,
lumière d'été, l'air dilate les poumons,
aiguilles plantées sous les paupières,
les mirages fleurissent au ras
du sol peau d'éléphant, étangs de nacre,
au loin, Fata Morgana modèle réduit,
rêve de plage du Nord, mouettes
et coquillages, sable blond, tu sais,
ici, les voitures sont survoltées,
je reconnais ton ombre entre mille,
un rien d'élégance vive, de légèreté,
un bus manque m'attraper par le bras,
façades molles, les terrasses flottent,
j'ai la tête ailleurs, et tout le corps,
le fleuve n'est pas loin, à la source
un filet d'eau gicle entre les roches,
il faut bien une première goutte,
les racines s'accrochent à la terre noire,
les fleurs, minuscules, narguent le ciel,
ici, troncs amassés contre les piles du pont,
sous les coquilles de Saint-Jacques,
branches encore feuillues, détritus,
oiseaux morts, l'eau est si forte,
descendre l'escalier abrupt, rejoindre
la falaise de briques, le ruban d'herbe,
le chemin de halage, le souffle
des chevaux, si puissants,
l'eau s'étire à perte de vue,
j'imagine l'océan, tout là-bas,
patient, repu, masse liquide
où grouille la vie, vertige,
où le soleil se perd, nager,
pâleur des jambes, des pieds,
sur un banc glisse le voile
d'un platane, m'asseoir, apaisé,
joyeux clapotis moiré,
est-ce ton rire au cœur du silence.

(26 juin 2015)
Toulouse, 28 octobre 2014, 17h12. ©JJMarimbert


jeudi 25 juin 2015

Ce que montre un visage


Ce que montre un visage
est dans ce qu'il tient secret,
sa beauté, sa laideur aussi,
ses luttes, ses voyages,
le mystère de son silence,
le chemin perdu à l'horizon
de ses appels, de ses cris,
de ses sourires étonnés,
mais le visage parfois
de l'intérieur se fendille,
secoué, malmené, arraché,
tandis qu'à l'abri du vent,
le monde résiste, porte, fenêtres,
murs couverts de tableaux,
étagères débordant de livres,
fauteuil et tapis, miroir oriental,
bibelots déposés là par la vie,
bois flotté que la marée rejette,
au loin la baie miroite, indifférente,
le cap affronte la houle, pas un mot,
il n'y a ni baie, ni cap, alors
le visage s'enroule sur lui-même,
les cordes grincent, le bois plie
sous l'effet du sel jeté plein ciel,
tant de cris d'enfants et de rires,
des corps enlacés, des caresses,
les hirondelles s'en donnent à cœur joie,
l'air est chaud, le visage
ne s'est pas effondré, il résiste
à quoi, mystère, contient les joies tues,
pourquoi, il n'en sait rien,
le silence ne protège pas,
mais les paroles figent, résister,
fou d'aventure, le visage se perd
dans le labyrinthe des regards,
anciens ou à venir,
faiblesse, non, amour enfoui,
le décor est flou, si fragile,
le visage est mince, il n'est rien,
un souffle l'efface, un mot le ravive,
que sait-on d'un visage,
toi, tu le sais, qui l'as saisi au vol.

(25 juin 2015)
Toulouse, 16 mars 2015, 7h21. ©JJMarimbert


Sous l'arbre, une forte odeur…


Sous l'arbre, une forte odeur
de fruits pourris, d'alcool,
dans l'énervement des guêpes
et des mouches, au loin des cloches,
le chemin s'est perdu dans l'herbe,
d'un coup, un trou dans les ronces,
un verger, les feuilles brûlent,
deux merles piquent le sol imprégné
de sucre gâté, de pisse,
l'ombre est épaisse, grasse, moite,
y entrer pour se protéger du soleil
reviendrait à faire un pas
vers la mort, alors marcher,
là-bas, les roches abruptes,
la dentelle des peupliers,
la fraîcheur d'un mur de pierres,
mon visage bat la campagne, les yeux à vif,
mieux vaudrait pleurer que tout ce sel
qui dégouline du front,
sur le dos le poids des paroles tues,
entendre le souffle des bêtes,
m'arrêter là, ne plus bouger,
dormir un peu, rêver,
est-ce encore possible,
ballet des sauterelles, des papillons,
et toi, libellule, le sais-tu,
ton vol est cassé, magnifique,
en quelle langue écris-tu,
avec tes ailes bleues.
(22 juin 2015)
Lac d'Estaing, 28 août 2013, 18h05. ©JJMarimbert


jeudi 18 juin 2015

La nuit 100


N'a-t-elle jamais de fin, cette nuit, est-ce un tunnel,
les anges s'y perdent, fourbus, échoués dans un coin,
sourires collés au mur, bras au ciel, mains crispées,
est-ce une éternité nocturne, le ventre du Léviathan,
partout les couleurs éteintes dégoulinent, fusionnent,
les formes s'adoucissent, de loin leur velouté rappelle
les fonds marins, les sous-bois moussus, les collines,
la savane chahutée par un vent de latérite, le désert,
tout n'est que flou, ébauches voilées et ondulations,
mystères et tragédies dans la poussière des ombres, 
on peut y deviner des corps esquissés, des visages,
ou le même, en rhapsodie, variation, pas de thème,
ou imprécis, la beauté, l'étonnement, l'inquiétude,
la peur, l'espoir, l'attente, l'éblouissement, l'amour,
nul ne sait, l'aile d'un ange glisse à terre et tremble,
des plumes bleues s'accrochent aux branches hautes
des cyprès, je ne rêve pas, la rue attend les danseurs
de claquettes, et le lampadaire diffuse une lumière
américaine, nuit sans fin dans un décor où le destin
fait le pied de grue, l'histoire piétine, alors maestro,
vite, la vie s'impatiente, tout se bouscule à l'horizon,
je me lève, un ange fait semblant de regarder ailleurs,
il s'imagine que je ne te vois pas, en cette nuit infinie.

(18 juin 2015)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, 17 juin 2015, 16h26. ©JJMarimbert


La nuit 99


Nuit de feu, le bateau doit croiser au large
d'un volcan, la fenêtre tremble, et le halo
du volet, en cendres, est devenu tout petit,
froissé dans un coin du plafond craquelé,
et derrière les étagères, les murs suintent,
le bureau, la chaise, glissent vers la porte,
le lit est épave, radeau, les draps fantômes,
le monde penche sans savoir de quel côté,
l'esprit faseye, il voudrait bien rire, danser,
étouffer la peine, le chagrin, une bonne fois, 
éviter l'hésitation du papillon dans un champ
de fleurs, celle-ci, encore celle-ci, mais non,
erreur, c'est légèreté, joie, étonnement d'être,
ni incendie, ni coulée de lave, le volcan est là,
nourricier, bouillonnement, force, les cyprès
bleus d'Arizona se tiennent prêts, contiennent
le ciel, ont la patience d'une pyramide du Nil
ouverte aux quatre vents, offerte à une reine,
les murs se couvrent de beaux hiéroglyphes,
on peut y lire l'avenir, dit-on, des billevesées,
tout ne tient qu'à un tremblement de la voix,
à un frémissement des mains, alors je guette
le sens, et l'oiseau posé au bord de tes lèvres.

(18 juin 2015)
Toulouse, 3 mai 2015, 3h59. ©JJMarimbert


mardi 16 juin 2015

La nuit 98


Ou bien un lac, la nuit, au cœur d'un parc,
de hautes grilles enfoncées dans la brume,
un portail majestueux, n'entre pas qui veut,
n'en sort guère plus, un filet, mille chemins,
il rappelle ces grands cimetières vallonnés,
sans tombes, juste la profondeur, la sérénité,
le silence particulier des allées numérotées
bordées de croix, de dalles, photos ovales
en émail, formules taillées dans le marbre,
là, ni bouquets en plastique, ni vases cassés,
ni plaques, l'inverse, tout vit, se transforme,
passe d'une couleur à l'autre, parfums, ciels,
les sentiers s'ouvrent au gré des pas, filent,
se referment aussitôt, derrière, tu as vu ça,
on y croise la foule des grands jours, rares,
les visages se mêlent aux massifs de roses,
les branches des hêtres, des chênes ploient
sous les histoires anciennes, rires et pleurs,
ou celles inventées sur le champ, tout droit
sorties des jours à venir, si brillantes, vives,
des tableaux de genre balisent le parcours,
enfance, amour, départs, batailles dérisoires
collées aux semelles, alors nos chaussures,
jetées au loin, allons pieds nus dans l'herbe,
vivre joies et peines, êtres en liberté, purs,
marcher au bord du lac, et rire, et parler,
oui, nos doigts jouent dans la pénombre.

(16 juin 2015)
Lac d'Estaing, 28 août 2013, 18h05. ©JJMarimbert


La nuit 97


Nuits du rouge-gorge et de l'univers mêlées,
au loin le chaos et l'orage, précaire équilibre,
parure d'un ciel étincelant, feuilles inquiètes
où se cache la boule de plumes, cœur battant,
ici là volent des noms, des appels décharnés,
tout cet amour en quête d'océan, grand large,
de montagnes secrètes, à-pics, forêts de pins,
un rien le fait vaciller, dans l'insondable vide
il défie l'entropie, pose sur les ruines glacées
l'ébauche d'un sourire, le tison des corps nus,
il ne reste plus rien des siècles, des mondes,
nuit brûlante des visages renversés, si doux,
la ville franchit les collines, saute les fleuves,
les arbres veillent et la rue fomente un crime,
une pie s'envole, agacée par les murs chauds,
elle arrache au passage les mots secs pendus
aux fenêtres, le rouge-gorge est aux aguets,
je ne bouge pas, danger écarté, nul ne sait,
les papillons coiffent le lampadaire de rue,
une voix fredonne un air d'opéra, tout près,
Casta diva, ou bien l'ai-je inventée, dis-moi.

(16 juin 32015)
Toulouse, 9 octobre 2014, 6h38. ©JJMarimbert


lundi 15 juin 2015

La nuit 96


La nuit parfois se lasse d'être étirée, tendue
entre des miroirs invisibles, jours lointains,
moiteur de l'été nouveau, ou de l'attente sur
elle-même enroulée, ressort à spirale, mais
dont la clef n'existe pas, horloge grignotée
par le rire des enfants, elle se dissout, éclat
d'une vie secrète, attente du rien qui tarde,
en tête des paroles de miel, le nectar de vie,
les regards sans repères étalés sur les murs,
ici une marine espagnole, un port, un soleil
hésitant, sur le quai s'agitent les porte-faix,
glissent sur le cadre en acajou, attirés par la
gare de Florence à minuit, vieux train kaki,
son œil rouge, les wagons de marchandises,
des néons baignent les quais, clarté nacrée,
un bateau patiente, une locomotive souffle,
pensée accrochée à la brume des souvenirs,
tu marches sur le sable, tu ris, folle pensée,
plage du lit, halo du volet, l'esprit est dilué,
tombe en arrêt sur un point brillant, la vitre
italienne capte un rayon, lampadaire de rue,
non, il bouge, s'approche, je me lève, la nuit
s'ouvre, il suffit d'un rien, souffle ou mirage,
le papillon blanc de ta main vole à la fenêtre.

(15 juin 2015)
Toulouse, 27 janvier 2015, 8h12. ©JJMarimbert