De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

lundi 25 mai 2015

La nuit 85


Animaux de nuit si discrets, élégance et légèreté
des ombres, fenêtres, forêts sculptées plein ciel,
cyprès bleus d'Arizona sur un long mur chaulé,
une lune en carton roule sur les toits de tuiles,
lointaine, un tantinet prétentieuse et tragique,
air frais des limbes, la nuit est une frontière,
mais entre quoi et quoi, rien, frontière suffit,
vois-tu, passage, pont flottant dans la brume,
l'être alors se métamorphose, en lui-même,
il se fond dans l'abîme, ressort, l'air est doux,
charrie les parfums harassés par une lumière
enfuie, le réverbère tisse un désert, sable pâle,
caravanes à l'abri du vent, l'obscurité protège,
potager creusé sous les palmiers où brillent
tomates et poivrons verts, les oiseaux boivent
au creux des feuilles, accoudé au bastingage
de la fenêtre, j'écoute cette musique, tu sais,
tamtams, tremblements de la terre et du ciel,
une voix s'empare du corps, il se met à vibrer,
nous dansons, nous tournons, les yeux fermés,
je pense à ces temples de craie, perdus en mer,
visage diaphane d'une statue adossée au temps,
la nuit est si profonde, les papillons dorment.

(25 mai 2015)
Paris, Pont Alexandre III, 23 mai 2015, 15h46. ©JJMarimbert


lundi 18 mai 2015

La nuit 84


Vouloir en finir avec la nuit, quel crime,
quelle lâcheté, l'idée ronge déjà les murs,
alors en finir une bonne fois pour toutes,
autant couper les ailes du papillon bleu
pris dans le rideau, pli meurtrier, piège,
tunnel de coton, lutte inutile, l'abdomen
tremble, se débat, au bout, noirceur, jour
nié, ailes ternies, transparentes nervures,
fragilité des antennes, ultime palpitation,
mais ce n'est pas la nuit, la fraîche nuit,
nul refuge plus secret, ni joie, ni chagrin,
ni espoir enveloppés de tendresse, repos,
corps traversé d'éclairs, il vise une étoile,
le jour y perdrait sens, errant, hirsute, vite
englué dans une lumière écrasée, consumé,
à la torture, les yeux crevés dégorgeraient
les couleurs passées des teinturiers de Fès,
que faire de ces mondes ébauchés, bricolés
dans la tourmente et la douceur des draps,
des profondes forêts sillonnées en tout sens,
épié par mille yeux malicieux, scintillants,
des villes surgies autour du lit, joyeuses et
bigarrées, dans le chahut de terrasses bondées,
des voyages à venir, nous pourrions y perdre
et découvrir un chemin, rire de nous, du sang
versé dans des combats d'épées de bois peint,
de tes lèvres posées sur les miennes, des mots
inventés pour l'occasion, des chants de vallée
en vallée, derrière la fenêtre, les yeux fermés,
des énigmes irrésolues, aussi vite oubliées,
du silence de la rue sous un vaste ciel marin,
aussi mystérieux que la peau, tu le sais bien.

(18 mai 2015)
Toulouse, 3 mai 2015, 7h36. ©JJMarimbert


vendredi 8 mai 2015

La nuit 83


De la nuit jamais ne s'éteint la lumière,
sources cachées, à l'abri des barbares,
elle glisse entre lames, discours acides,
violence des coups, mépris des âmes,
jamais, souple elle épouse les choses,
nimbe de mystère rues, toits et murs,
résiste à l'appel des ombres et du ciel,
propulse la chambre au bleu lointain,
donne à rêver l'Andalousie, châteaux,
champs de pierres, l'herbe étouffe, crie,
oliviers qu'enfant je prenais pour nuages
brisés à terre, accrochés à la roche salie
par les guerres et noircis par le soleil,
pareils aux robes, vestes, bérets, fichus
cachant les rides de l'histoire au vitriol,
la nuit les éclaire, leur donne vie, sang,
fait miroiter la mer au pied de Málaga,
flotter dans l'air parfumé ces mélodies,
Jaén, Córdoba, Granada, Sevilla, Cadix,
le halo du volet vibre au son des tavernes,
dans la rue passe une charrette pleine d'or
tirée par deux ânes à la mémoire intacte,
les remparts de l'immeuble sont décorés,
la lumière coule des palmiers, des figuiers,
l'eau chante dans les fontaines, entends-tu,
au cœur des patios, le jasmin est si blanc,
tu verras, et ses fleurs tremblent de joie.

(9 mai 2015)
Toulouse, 25 avril 2015, 16h40. ©JJMarimbert


jeudi 7 mai 2015

La nuit 82


Jamais nuit n'a tant duré, de l'attente infinie,
attente de l'enfant, femme homme qu'en dire,
du vieillard égaré en ce monde, c'est si long,
mais l'enfant joue sur son oreiller de rires, et
jette au champ des graines d'arbres inconnus,
l'homme serre en ses bras l'existence à venir,
tout se bouscule, sur les chemins caillouteux,
des files de soldats vaincus, ridés par l'acier,
les souliers raclent le sol, ou bien les ongles,
les draps s'ouvrent enfin, les fenêtres parlent,
sur le cahier, l'enfant écrit et souligne la date,
au tableau, lettres parfaites, statues de craie,
les doigts tremblent toujours devant l'idéal,
mon corps soudain cherche la fraîcheur nue,
à moitié endormi, pâteux, au bord d'un étang,
balbutiant, brume de la précédente accrochée
aux arbres, à l'eau noire, aux ailes des hérons,
à la gorge et aux cils, jamais nuit n'a tant duré,
qui semblait la dernière, nuit étirée toute la vie,
moulin tibétain dévidé à toute vitesse axe fou,
des paroles diffuses embaument la chambre,
l'idée rôde, fiel, au pied du lampadaire de rue,
dernière nuit, rien, n'ouvre que sur elle-même,
au terme d'un vertige abyssal, nuit de la nuit,
balayée d'un revers au jugé, les yeux brûlants,
dans la rue les cyprès, penchés contre le ciel,
ta voix chante dans le vestibule, belle nuit,
une joie sans nom me tient par les cheveux,
étonné d'être ainsi suspendu au-dessus du lit,
je survole mers et montagnes, ne sachant où,
quand, s'achèvera le voyage, ni toi non plus.

(7 mai 2015)
Toulouse, place Saint-Étienne, 6 mai 2015, 16h12. ©JJMarimbert


mercredi 6 mai 2015

La nuit 81


La nuit jamais ne se gagne sur le grand jour,
l'envers de rien, sinon de l'ombre soufflée,
fuyant dans la béance incendiée par Phœbus,
teintée d'espoir au matin, peu à peu aspirée,
sauvée du néant par les lampes électriques,
ombre immobile, maisons, fenêtres, arbres,
porches, voitures, panneaux, ils attendent,
grand nuit, faudrait-il dire, dont le cœur bat
au rythme d'écailles affolées en nuage strié,
autour du casque lumineux piqué de cousins,
de vibrionnantes bestioles à peine visibles,
molle pulsation de la rue vide de toute âme,
quand accoudé au garde-corps, émerveillé,
je cherche un ciel, prenant appui sur la haie
de cyprès bleus d'Arizona, beaux, apaisants,
je balaye des yeux le jardin de l'immeuble,
devine, collé à la vieille enceinte de briques,
saisie par un spot enterré, la silhouette grêle
du petit palmier, tout un monde est là, tapi,
dans la fraîche obscurité, intimité de l'être,
terreau des horizons bleutés, et quoi d'autre,
les îles sortent de l'eau d'une vasque oubliée,
y a-t-il un cerisier, une aile d'oiseau, un lilas,
où je cacherais les moments passés là, muet,
à te dire cela, ton visage est partout, reflet de
l'absence des mots chuchotés jusqu'à l'aube.

(6 mai 2015)
Toulouse, 5 janvier 2015, 8h06. ©JJMarimbert


dimanche 3 mai 2015

La nuit 80


La nuit s'abîme où le jour tremble et titube,
succombe hésitant sous la lumière des rues,
mécanique implacable des chemins cloutés,
jour étique dont aucune soif n'épuise les os,
au crépuscule défait, écheveau d'espoirs têtus,
quand le berger rentre le troupeau d'ombres,
préfiguration dorée de la solitude des morts,
la nuit tient sa victoire au cœur des caresses,
personne ne vient à bout de la peau infinie,
la nuit fait éclore les visages, les yeux rient,
chez elle quand murs éteints surgissent crues
des images sauvées de nul ne sait, lumineuse
et maquillée, silencieuse elle danse à tue-tête,
la chambre roule et tangue, mais elle tient bon,
ramassant çà et là des écailles de temps sacré,
et, d'une époque l'autre, partout si familière,
malin qui la tiendra dans la paume des mains,
moineau petit tombé du nid réclame son dû,
les émois font cercle autour de ma bouche,
les dents serrées peu à peu s'ouvrent, dans
le brouhaha et l'incohérence des lambeaux,
sous un ciel marin sillonné de folie d'amour,
si je tends bien l'oreille à ton murmure voilé,
me parvient ta mélodie préférée, let me play
among the stars, mêlée au sable lissé d'eau,
let me see what spring is like, un petit avion
rouge, égaré semble-t-il, on Jupiter or Mars,
triture l'air de son hélice d'écume argentée.

(3 mai 2015)
Toulouse, 3 mai 2015, 4h00. ©JJmarimbert


samedi 2 mai 2015

La nuit 79


La nuit, souvent, chasseur et proie confondus,
mélange brûlant dans l'épaisseur de l'être à vif,
la traque est celle du mérou devant un miroir,
ouvrant grand la gueule quand il fuit la voyant,
auréolée d'anémones aux doux pastels moirés,
souples et douces, ayant d'Aglaopé la belleza,
de Ligie ou Thelxinoé le charme irrésistible, et,
dans le rôle d'un Ulysse grimé par l'insomnie,
les yeux écarquillés j'assiste au drame espéré,
s'ensuivent des histoires de pêche sous-marine,
sans queue ni tête, s'y reflètent des plages d'été,
des corps nonchalants qui se frôlent s'enlacent,
des côtes rocheuses à l'ombre de pins parasols,
des scions, des tridents à bout de bras d'enfant,
criant face au noir nuage d'un poulpe inaperçu
imitant ces naïades des comédies américaines,
le remous de sable d'une sole enfouie à jamais,
au moment où, puissance de l'illusion, jouant
les danseurs de corde au-dessus du parquet,
n'ayant pour seul repère que le halo du volet,
pâle extension onirique du lampadaire casqué,
piètre gardien d'une rue désertée à cette heure,
je vois ton visage-fleur et, nageant à tes côtés,
tente d'attraper le ballon qui, depuis mille ans,
est un soleil flottant à l'horizon de nos rires.

(2 mai 2015)
Sète, 19 juillet 2014, 13h59. ©JJMarimbert