De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

lundi 27 avril 2015

La nuit 78


Il est des nuits écrites sur des feuilles de sable,
pattes de petits animaux, scarabées ou lézards,
entrelacs de dunes à perte de vue, un ciel blanc,
le souvenir de l'eau brille au creux des failles,
des yeux, des appels, au loin, camions rouillés,
acacias erratiques aux épines encre de Chine,
ici et là s'entend encore le souffle des hommes,
à rythme forcé, surgis, on ne sait d'où, ni qui,
cherchant un ailleurs inexistant, doux mirage,
accoudé au garde-corps, le regard porte si loin,
une femme ouvre sa porte, reste là un moment,
comment comprendre ce petit bout de temps,
cette attente de rien, sentir sur le visage l'air vif,
se rappeler de longs chemins inachevés, perdus,
j'ai longtemps marché sans laisser plus de traces
qu'un siècle de nuages, qu'une goutte sur la table,
et mes paroles ont échoué au bord de tes lèvres,
curieux destin du sang, à l'orée du mystère, nu,
je fais le tour de la chambre, comme d'un lac,
sur le parquet la marque de mes pieds s'efface,
dans la cuisine j'ouvre la fenêtre, scrute le noir,
un merle fait trembler deux feuilles du figuier,
muet, ainsi m'arrive-t-il de fermer les paupières,
mais jamais les volets, de serrer dans mes bras
les cyprès bleus d'Arizona, les heures perdues
humectant les racines, parfum ténu, si secret,
à peine un murmure sous la porte, je te sais là,
dans le vol d'un oiseau transparent, je te vois.

(27 04 15)
Paris, Musée Jacquemart André, 5 avril 2015, 15h29. ©JJMarimbert


samedi 25 avril 2015

La nuit 77

N'y tenant plus, cette nuit, rues oppressées,
souffle à peine ébauché, coupé court, jeté
hors du lit, vêtements au vol, dans l'entrée
clefs à terre, la porte claque, escalier avalé,
courir, courir, longtemps reclus, immobile,
mots pour dire, vains, que cet effondrement,
et cætera, tout ça n'existe pas, n'est que folie,
agrippé au pendule de Foucault, le sol glisse
sous la masse, chanter la grand-hune du ciel,
belle sphère de métal où l'univers se reflète,
voir les chutes Victoria et la banquise nue,
les dunes de Merzouga, Vérone, Manhattan,
l'air frais pique aux joues, paupières plissées,
le corps ne raconte pas d'histoire, il résiste,
écouter le corps, explorer ses failles, jouer,
jamais le corps n'est un ni autre, il, ici et là,
ancien, livré au hasard, se souvient de tout,
Canal noir sous une dentelle d'immeubles,
marche sèche, trottoirs frangés de vitrines,
vêtements de saison, salles de cafés désertes,
chaises empilées sur une terrasse enchaînées,
enseigne de chausseur, mocassins, ballerines,
des meubles ternes, mon ombre coule sur tout,
un bus clignote, pneus sifflant sur macadam,
frein essoufflé, chauffeur blafard, je saute
presque en marche, ou bien l'ai-je rêvé, non,
Saint-Étienne de briques, silence d'encens,
fontaine de chérubins joufflus, un magnolia
en fleurs, autour du tronc un tapis de pétales,
aux Augustins, statues, bras, mains, visages,
je me retrouve près du fleuve, et sur le quai,
silhouette du pont rehaussée de guirlandes,
le vent me parle de toi, j'ouvre la fenêtre,
au bout des doigts, la caresse d'un ange.

(25 avril 2015)
Paris, Musée Carnavalet, 18 avril 2015, 14h54. ©JJMarimbert


dimanche 12 avril 2015

La nuit 76


Reste de la nuit, toujours l'ombre au sol jetée là,
parmi les fleurs du Jardin des Plantes, des Allées,
mobile dentelle du rien, léger souffle de clarté
absente, sur toute chose posé, délicat, apesanteur
partout glissant, murs, tronc des arbres, fenêtres,
rues zébrées, treillis de roses, rais poussiéreux
traversés d'une musique fuyante, je ne sais où,
dévalant le trottoir, avalant les autobus bondés,
peu à peu l'ombre bleue, usée par quoi, l'ennui,
l'envie, mais persiste la nuit, légère elle se retire,
à midi au dedans, aspirée, double du corps enfoui,
profonde, gommée par la lumière, la ville plongée
dans le noir des jours, reste de la nuit, fraîcheur
d'un regard croisé, au creux du vide, jaillissant,
puits du nouveau au fond duquel miroite le ciel,
je n'ose plus bouger, le moindre bruit ride l'eau
où se reflète, je ne vois plus bien et me crispe,
la nuit parfois s'enfuit, avec ombres et reflets,
mes yeux tentent en vain d'accrocher ici ou là
une forme, une esquisse, un brouillon de sens,
je plonge la main dans le fourre-tout de la vie,
ramène de vieilles sandales d'été, des cartables
bourrés de pleurs, de rires, des cris, des amours,
des ombres souples, sources d'émois fulgurants,
t'en souviens-tu, de ce rythme, de ces syncopes,
tandis que je fixe le halo du volet, de ta façon
de faire danser l'espace, et la rue, et les arbres.

(12 avril 2015)
Toulouse, place de la Cathédrale Saint-Étienne, 1er avril 2015, 16h19. ©JJMarimbert