De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

mercredi 28 janvier 2015

La nuit 50


Chaque nuit est un pas, un bond vers quoi,
le vide, dans un grand sac distendu à l'infini,
un fois allongé, le corps se dissout peu à peu,
s'absente, non, s'immerge, se fond dans le tout,
seuls les yeux, tournés vers un centre absolu,
roulent çà et là, glissent de pièges en illusions,
le sac vide flotte et bat dans un air mêlé de chants,
de cris, d'appels lointains s'éloignant, se perdant
au fond de quoi, de moi il n'est question, de rien,
ainsi, égaré ou feignant de l'être, le corps se tourne,
se met à parler, c'en est fini du tout, les mots tissent
une corde à nœuds, je grimpe en râlant, me retrouve
en gymn, pieds plantés dans le sable froid, que faire,
le portique est si grand, est-ce cela, corde grossière,
mes mains d'enfant en font à peine le tour, là-haut,
le gros crochet brillant, la barre fatidique à toucher,
jambes et bras en feu, tempes battantes, tétanisé
au beau milieu, ni en bas, ni en haut, je suis resté là,
et n'ai pas pu aller plus loin, ni redescendre, en rire,
en pleurer, rien, suspendu, à mi-hauteur entre ciel
et terre, entre barre et sable, agrippé à une boule
de corde que j'ai dû avaler, à force, est-ce cela,
j'ai vu passer les jours, les nuits, nuages, oiseaux,
j'ai observé la cime des arbres, les toits de tuile,
et des étoiles, des orages, les caprices du vent,
j'ai vu des mains se tendre, que je n'ai su saisir,
j'ai pensé me jeter, en finir avec quoi, ridicule,
alors la nuit je retrouve corde et enfant, il dort,
l'air est doux, selon les heures, chauve-souris,
chouettes, papillons, tournent, hésitent, filent,
je lui raconte ce que j'ai fait depuis ce temps,
lui dis la couleur des yeux qui m'ont aidé à vivre,
de ceux qui aperçus sont recouverts d'absence,
est-ce cela, le centre absolu, le cœur de toute nuit,
il en rit, non, dans la rue, des passants, des talons,
corps et draps entortillés, j'ai dû descendre un peu,
demain nous irons au Jardin des Plantes, jouer,
y seras-tu, oui, cachée derrière le cèdre du Liban.

(28 janvier 2015)
Toulouse, Grand-Rond, 28 octobre 2014, 16h58. ©JJMarimbert


lundi 26 janvier 2015

La nuit 49


La nuit s'achève et me laisse en suspens,
sur les murs, mille et mille questions vides,
des morts, des leurres, des mots de haine,
j'aurais aimé rencontrer écouter Marc Aurèle,
jeter radio télé, ne garder que le papier du jour,
le temps, le silence, faire de la nuit un sanctuaire,
mais non, la nuit renaît, s'agite, les mots fuient,
la guerre, les rafales, tandis que sur les plages,
tandis que dans les arbres, la lumière des fleuves,
patiente la vie muette, elle bruisse, cherche, file,
non, nuit d'images floues, de perruques soyeuses,
de bijoux empoisonnés, d'extase meurtrière,
sur le bureau, entassées, les ombres assassinées,
je me souviens de Marc Aurèle, de sa lumière,
le corps est eau courante, l'âme songe et fumée,
alors se lever, rejeter les outrages faits au génie,
les mensonges et faux-semblants, l'hypocrisie,
le regard des sirènes, les beaux chants venimeux,
le lit est brûlant, cette nuit est la dernière, enfin,
toutes les nuits, ce sublime tourbillon des nuits,
et je te croise, tu ne vois rien, tu t'es perdue,
noyée dans de faux rires, monde de carton-pâte,
moi, inachevé, jeté au puits des vaines tentatives,
tandis que les forêts, tandis que les montagnes,
la mer au loin s'amuse de tant de vanité puérile,
alors se lever, faire œuvre d'homme, être vivant,
dit-il, tandis que nous marchons, petit chemin,
campagne romaine, la nuit égrène son chapelet,
le cadre de la fenêtre m'invite à voyager, partir,
la nuit s'achève, elle gît sur le plancher, pâle,
ridée de colère, exténuée, rongée de solitude.

(27 janvier 2015)
Toulouse, 27 janvier 2015, 8h12. ©JJMarimbert


dimanche 25 janvier 2015

La nuit 48


La nuit est, en plein jour, refuge et musique,
marchant dans une rue de briques humides,
sous un crachin subtile et froid, je me cache,
que faire, de moi-même, tout recoin me tente,
je cherche l'ombre apaisée, l'eau du caniveau
pépie, petit chant du cygne, filant vers la bouche
de pierre qui l'engloutit, tout là-bas fleuve, océan,
nuit souterraine dont je me drape, sous un porche,
en quête d'une énigme, j'attends, et l'être finit
par se montrer, j'apprends, ici là quelques mots,
parole tronquée d'un opéra italien, est-ce Lucia,
les voitures chantent, la pluie tombe, si fraîche,
les gouttières tintent, le caniveau s'engorge,
le jour rend l'âme, violence de l'eau et du vent,
ou bien est-ce en moi, macadam lisse, terrasse,
non, Lammermoor, le destin, le sang d'Arturo
coule, la folie fait trembler les façades rouges,
rouge sombre, rouge nuit, rouge secret de la vie,
la nuit aide à voir ce que le jour habille et cache,
hissé sur la pointe des pieds, agrippé à la palissade
des habitudes, s'offrent aux yeux ébahis l'étendue
des plaines, les montagnes, les châteaux profonds,
le crachin pénètre vêtements, peau et visage,
la lumière mouillée des vitrines, des phares,
des vélos se faufilant sur le trottoir, m'emporte,
farandole de fausses étoiles, les corps sont beaux,
les yeux brillent dans une débauche d'éclats,
le jour a fui, toujours la nuit est la plus forte,
avec lèvres et mains, chacun le sait, au fond.

(25 janvier 2015)
Toulouse, Place Saint-Étienne, 24 janvier 2015, 18h59. ©JJMarimbert


samedi 24 janvier 2015

La nuit 47


Anciennes nuits à venir, images gravées
dans l'épaisseur des attentes, sans lien,
corps enchevêtrés d'arbres intouchés,
de nuages percés de bleus, d'iris striés
de teintes immémoriales, nuits à boire
jusqu'au lit défait, béant, cruel abîme
d'un silence peuplé d'ombres, de chants
d'oiseaux, de proies filant dans l'herbe noire,
longues nuits frappées d'amnésie, navires
offerts à la houle spectrale des regards
égarés, entre meubles et plafond, étagères
et livres à terre, muets, patients ou morts,
soudain se détache du plus obscur, léger,
l'appel inchoatif des origines, fragile, naïf,
il frôle le dos des mains, les bras inutiles,
ainsi naissent d'autres nuits, et se dressent
de beaux décors orientaux, parfumés, fleuris,
bougainvillées, jasmin, champs d'orangers,
des paroles aimantes tombent en poussière,
vaines, simples mirages, miroirs sans tain,
il ne reste plus rien, que formes souples,
paysages ébauchés, chemins tus, ciels peints
par un enfant, musique du corps tressaillant,
tandis que dans la rue, les cyprès d'Arizona
jettent sur le trottoir leur dentelle, bleuie par
l'œil du lampadaire, que la ville ondule
dans le froid du passé, longues nuits à venir,
te dire tout cela, jamais, et bien autre chose,
le trop-plein des aventures cachées, à venir.

(24 janvier 2015)
Toulouse, 24 janvier 2015, 9h13. ©JJMarimbert


mardi 20 janvier 2015

La nuit 46


Il en est de la nuit, parfois,
longue et tortueuse,
comme de certains tunnels
en plaine creusés,
que les évadés percent
avec leurs noirs chicots,
entrée sortie fondues,
la terre sous les ongles,
obligent à se tenir
sur un seuil inexistant,
en équilibre sur une lame,
entre deux ombres,
dans le cercle universel,
margelle d'un puits,
au fond le rond de l'eau
reflète une image falote,
théâtre vieillot, rideau
de poussière antique,
dans les coulisses,
drames et crimes, amours,
luttes immémoriales
pour la clémence du ciel,
la nuit goutte à goutte fuit,
les têtes se figent d'effroi,
les costumes s'agitent,
ou bien est-ce le drap,
le corps dans les plis se tord,
se recroqueville, coque de silence,
lumière filtrée par le volet,
parcimonieuse et moite, épaisse,
ce n'est pas un tunnel,
l'attente nouée au cou,
simple apnée qui retient tout, 
avant d'enfin se jeter dans
le vif d'une parole à venir,
d'un corps offert au vent,
le sillage d'une coccinelle,
le sourire d'une passante,
le torrent d'une rue ensoleillée.

(20 janvier 2015)
San Sebastian/Donostia, 18 août 2014, 21h13. ©JJMarimbert


dimanche 18 janvier 2015

La nuit 45


Ces dernières nuits, cherchant mes mots,
de mes lèvres un murmure s'échappait,
borborygmes, pâteux chapelet d'ébauches,
je croyais à une présence, visage disloqué,
mes yeux glissaient d'une ombre à l'autre,
mes oreilles aux aguets comme en forêt
bête traquée, et ce murmure ici là insensé,
mots mâchés, ne sais pourquoi, ni pour qui,
je ne trouvais que débris épars, cris lointains,
traces de pas, échos de cris, souffles rauques,
tout n'était que halo, reflet mouvants, esquisses,
une nuit, deux nuits, trois, quatre, toute une vie,
les phares balayaient parfois la rue, les cyprès,
je laissais le volet ouvert, incapable de le tirer,
voulant voir le monde, une illusion de monde,
la vie, le fermer autant mourir, plonger, alors,
plutôt que le rien de ma chambre où j'étouffais,
je me crispais, serrant le drap à deux mains,
le corps accroché à mes doigts, d'un seul bloc,
les sons fuyaient en tout sens, fourmis, cafards,
puis tout s'emballait, à un moment ça lâchait,
dedans, tout au fond, un truc cassait d'un coup,
j'allais trop vite, je me rappelle une route, nue,
seulement cela, j'aurais tant voulu que tu, mais
des paysages défilaient, mes paysages enfouis,
figuiers de Barbarie lourds de fruits, eucalyptus,
mais non, pleine nuit, une nuit, deux, trois nuits,
incapable de saisir la moindre mélodie, nulle
flûte pour s'adresser au ciel, de bois ou d'os,
rien, je cherchais des mots, fenêtre ouverte,
me levant le matin, moulu, avant le soleil,
les nerfs à vif, sans avoir même défait mon lit.

(18 janvier 2015)
Route Pau-Toulouse, 17 janvier 2014, 18h36. ©JJMarimbert


lundi 12 janvier 2015

La nuit 44


Il est des nuits si longues, en lambeaux,
fêlures fines au cœur des corps,
violés, à terre abandonnés,
tête remplie de cailloux obscurs,
gravats de ruines en plein désert,
si longues nuits sans étoiles,
ni lune ni soleil,
que seuls le refus de s'endormir,
la lutte contre l'air putride, la brûlure
des paupières, des narines, de la gorge,
des poumons remplis de sable,
dans le vol des insectes attirés par
la lumière finissante du lampadaire,
prisonnier des ombres,
et la résistance des papillons habillés de sang,
dont le vol trace à l'aveugle la carte du ciel,
permettent de vaincre la peur,
purulente plainte, qui fige l'enfant,
souffle dans les forêts,
peur de ne pas se réveiller,
comment imaginer ce qui laisse
les visages sans peau, sans yeux,
la nudité absolue des cadavres,
si touchants, sans mots, étonnés
d'être exclus de toute intériorité,
sinon par une nuit effondrée,
interminable, au cœur des os,
des entrailles durcies,
que nul autre corps ne peut réchauffer,
comment renoncer à la douceur
des bras serrés, des caresses,
au parfum des lèvres tendues,
au murmure des feuilles,
au chant des oiseaux,
il est parfois des nuits si longues,
que s'endormir, c'est basculer dans le vide,
quand la mollesse du sommeil gagne
le corps fourbu, mais de cette fatigue
naît une nouvelle danse,
la grâce naïve de l'invention du jour.

(12 janvier 2015)

mercredi 7 janvier 2015

La nuit 43


Cette nuit brûle le jour en plein ciel,
déchiré, dilacéré, broyé,
la lumière passe du bleu aux cris,
les yeux se vident,
le métal a claqué, transpercé les corps, 
la nuit recouvre rues et places,
les oiseaux continuent de chanter
dans l'air vide, il n'y a plus d'air,
les bouches ouvertes suffoquent,
aucun son ne peut plus sortir,
d'aucune des gorges tranchées
par l'horreur, l'horizon bascule en silence
dans un gouffre ou je ne sais,
il n'y a pas de gouffre,
sinon le sang répandu des rires,
dans l'odeur fade du fer
sur les trottoirs,
lorsque la haine mord la vie
au cœur, la nuit est plus que nuit,
dans l'obscurité des paupières cousues,
des langues arrachées à la beauté
du verbe, à l'humour de l'être,
la nuit sur elle-même effondrée,
se pisse dessus, ne voit dans le miroir
que reflet d'excrément, elle pue,
mais c'est un leurre, pas la vraie nuit,
elle est sans étoiles, sans ciel,
sans chemin pour défier la mort,
sans joie, elle n'est rien, pire,
la négation de la nuit,
n'est pas l'envers du jour, le tue,
dans la rue, les arbres sans feuilles,
l'hiver est entré en lui-même,
les racines sèchent, la terre se lézarde,
le bus passe devant moi, vide,
les yeux sont hagards, la rue un fossé,
entre rien et rien, mais
les visages ouverts au dedans,
sur le secret des regards perdus,
cherchent, chercheront toujours,
par-delà les torrents,
l'apaisement des prairies
où vivent les puissants bisons,
sages et doux, et le crient.

(7 janvier 2015)
Noir. Charlie hebdo, 11h30.


mardi 6 janvier 2015

La nuit 42


Certaines nuits, le silence est total,
profond, je cherche, une immense salle vide
où résonneraient des pas absents,
un horizon de silence, une longue galerie,
je m'y engouffre, désœuvré, bras ballants,
un puits, je tombe et tombe encore, non,
au fond de l'eau, sans eau,
apesanteur, pourtant je vois mes livres,
sur le bureau deviné brille le verre à stylos,
une goutte de lumière chipée
au cadre de la fenêtre, volet mal jointé,
je m'attends à tout, autant dire à rien,
derrière la porte, je le sais, le couloir,
l'autre chambre, vide, pourquoi,
c'est toute une histoire, le vide,
il jacasse, n'en finit pas de ressasser,
puis la salles de bains, dans l'attente
de quoi, gestes huilés, le corps lavé,
la petite araignée dans un coin, je sais,
elle ou moi, c'est égal, nous luttons,
porte fermée, j'arrête de me faire du mal,
il y a la cuisine, en attente, de quoi,
l'entrée, la grande pièce à tout,
quel malin plaisir ai-je à m'éparpiller,
incapable de rester là, dans le silence
d'une tombe, non, je le savais,
j'y vois, je toussote, je bouge,
la tombe est une mauvaise image,
c'est tout l'inverse, douceur des draps,
de l'oreiller, pas de tombe, ou alors,
il y a un tel silence, cette nuit, j'ai peur,
j'avoue qu'il suffirait d'un rien pour que,
dans ma tête court un jeune chien,
halète un chien mourant aussi,
ma tête est un chenil plein, parfois,
mais là, les bêtes soufflent, le chiot
est tombé dans le puits, le vieux chien
renifle sous la porte, le silence pénètre
dans ses poumons, le niveau monte,
la chambre est noyée, si j'ouvrais la fenêtre
à cet instant précis, le silence envahirait la rue,
je pense à ceux qui y dorment, j'ai honte,
tout ce silence rien que pour moi,
la nuit est sans pitié, lumière crue,
elle plante ses aiguilles
dans les yeux et les oreilles.

(6 janvier 2015)

lundi 5 janvier 2015

La nuit 41


Il arrive que la nuit tombe très tôt,
est-ce le jour, à peine éclipsé,
encore hésitant, déjà l'emportent les ombres
sur l'incessante bataille des couleurs,
cela se produit n'importe où,
caisse de magasin, bouche de métro,
l'escalator livre en douceur sa cargaison
de jambes pressées, de cartables, de journaux,
de visages penchés sur de petits écrans bleus,
dans la rue, je suis sur la rive, attends le bus,
il flotte sur l'asphalte, gai, lumineux,
il sauve le monde, recueille les naufragés du jour,
repart, rejoint l'horizon,
parfois je me dis qu'il s'envole,
la nuit le soulève, les feux balisent la piste,
vert, orange, rouge,
le Monument aux Morts soutient le ciel,
les grands platanes agitent leurs bras,
le jour meurt sans une larme,
pourtant c'est peut-être le dernier,
personne ne sait,
personne ne se pose la question,
je regarde les trottoirs,
pense aux forêts d'Afrique,
tecks, flamboyants, arbres à pain, à saucisson,
les maquis brillent du feu où grillent les poulets,
dans le bus les têtes bringueballent,
le chauffeur fend la houle,
les roues éclaboussent les passants de latérite,
dans un long feulement exténué
la porte s'ouvre et je saute sur la berge,
la nuit m'attend,
je marche lentement, rue déserte,
longe les rails, un roulant, déjà,
tape sur le fer, badam-badam,
les cyprès dansent avec le lampadaire,
je grimpe l'escalier quatre à quatre,
vite, ma fenêtre, ouvrir,
lever les yeux bien haut,
guetter les derniers rayons,
derrière les façades, tout là-bas,
la Garonne s'amuse à lécher les briques,
d'un coup l'océan engloutit le soleil.

(5 janvier 2014)
Toulouse, 7 décembre 2014, 17h10. ©JJMarimbert