De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

samedi 29 novembre 2014

La nuit 19


Une nuit, j'ai marché longtemps, j'ai du mal
à me rappeler l'endroit exact, où était-ce,
étais-je seul, je ferme les yeux dans le noir,
sur le moment aussi, un lieu flou, escarpé,
cependant, foulant la terre des replats,
molle et grasse, sentant les herbes, les arbres,
la fine odeur d'une récente averse, je n'étais pas
perdu, j'avançais, confiant, serein, assuré
de trouver un refuge, étrange impression,
marcher m'importait plus qu'arriver, alors
le lieu, je ne sais plus, la nuit était claire,
comme après l'orage, quand le vent a lavé
le ciel en partie, taillant des brèches,
dilacérant la fumée des forêts, laissant alors
aux étoiles, à la lune, le champ presque libre,
comme cette nuit, appuyé au garde-corps,
j'observe le lampadaire, il lutte bravement,
la lune le nargue, et moi je ne suis rien,
je ne dis rien, des insectes, pris au piège
de la lumière, dansent autour de l'œil
globuleux du guetteur, sur le trottoir
où s'est perdu mon regard, coule ma vie,
et, au moment où je pensais toucher le fond
pour remonter, yoyo nocturne habituel,
un enfant, courant à perdre haleine, déboule
dans la rue, en short et sandales blanches,
il rit, insouciant et joyeux, je vois ses yeux
brillants, qu'as-tu fait de moi, me dit-il,
qu'as-tu fait de moi, et il disparaît sans
que j'aie eu le temps de lui répondre,
de lui dire que je l'aimais, ne savais pas,
ne sais toujours pas, ni où, ni quand,
comme la nuit où, marchant au hasard,
je me fiais à l'air, à ma peau, je ne sais pas.

(29 novembre 2014)

mercredi 26 novembre 2014

La nuit 18


La nuit, il arrive que j'entende les trains,
dans un retournement dont l'autan a le secret,
au moment où les volets se taisent, collés
par une invisible main à la façade,
alors, le tam-tam des roues sur les rails
franchit la vitre, glisse doucement sur le lit,
j'aime ce rythme et me laisse embarquer,
plutôt je me retrouve au Buffet de ma gare,
assis à une table, où je retrouve qui je veux,
et qui je ne veux pas, hélas, qui m'a trompé,
m'a moqué, enfant, si le ballon m'échappait,
quand je ne riais pas aux blagues viriles,
ou naïvement répondais aux questions
les plus sottes, n'imaginant aucun piège,
quand, jouant sur l'estrade une étude de Sor,
certains se curant le nez sans vergogne,
on me grondait d'avoir rater telle note, 
je revois ces scènes, aussi fraîches qu'alors,
ou plus tard, lorsqu'un sentiment trop fort
m'étreignait au point de défaillir, cœur tapant,
à la même cadence que les trains du vent,
juste avant le premier baiser, que d'autres
semaient sans se soucier de rien, ni de l'autre,
dans un jeu sordide que tout en moi rejetait,
moi qui n'espérais que vertige et saut
vers l'inconnue, les yeux ouverts, son corps,
et qui pour cela bien souvent renonçais.
Mais je croise aussi qui je veux, et là,
je prendrais bien un train pour n'importe où,
avec un ami, à parler de la vie, de la beauté,
avec elle, ou elle, dont la main m'effleure,
mais il n'y a pas de train, il n'y en a que le jour,
j'aime les gares, c'est banal, je partirai,
je sais courir, rêver, faire rire un visage,
et j'attends, pour me lever, le soleil,
et que la salle des pas perdus se vide.

(26 novembre 2014)

mardi 25 novembre 2014

La nuit 17


Cette nuit, penché sur mon destin,
pour en trouver la clef ou la blessure,
j'ai franchi des portes en trompe-l'œil,
emprunté des couloirs ambigus,
échangé çà et là des mots inconnus,
avec des êtres bigarrés et fluides,
contre d'étranges regards oublieux,
vu courir un enfant derrière son vélo,
qui lançait au ciel une contine italienne,
onduler sur le sable un bousier ivre
de soleil enfoui, aussi noir qu'un tunnel,
rassemblé l'ombre d'un grand dattier
au creux de ma main rouge de latérite,
ri avec un ami de la vanité des dieux,
des marchands et du chant des cigales,
senti sur mon visage la caresse veloutée
de lèvres auréolées de néroli,
et sur mon ventre et mon sexe
la douceur d'une peau intérieure,
écouté la litanie des leurres enrobés d'or,
marché sur des pieds de corbeau,
tenu le bras d'une vieille folle édentée,
échoué sur la rive d'un fleuve en colère,
je me suis penché un peu trop,
voulant voir les poissons, les tortues,
les nuages d'alevins téter le pain pourri,
alors mes yeux ont roulé sur l'herbe
et sont tombés dans l'eau, j'ai vu les arbres,
les mouettes, si loin, qui affrontaient le vent,
alors j'ai su, il me fallait attendre, m'accrocher
à leurs cris, seul moyen d'atteindre l'océan.

(25 novembre 2014)

lundi 24 novembre 2014

La nuit 16


Cette nuit, réveillé par le gargouillis
des canalisations du chauffage,
j'imaginais les bulles se cognant
aux parois des tuyaux, butant, s'amassant,
se gonflant au niveau des coudes,
pour soudain, poussées par le flux brûlant,
exploser, se disperser, tentant désespérément
de monter, dans le noir absolu de l'eau,
cherchant le moindre interstice, toujours monter,
jusqu'au dernier étage, passer enfin
par la soupape sifflant d'exaspération,
rejoindre l'air ambiant débarrassées
in extremis de la vapeur aux volutes fades,
et, de là, filer vers les Pyrénées
où vaches, chevaux et brebis,
et tous les animaux des hauteurs,
ressentaient les premiers effets du froid.
J'ai alors repris ce petit chemin
emprunté à une époque où je rêvais
de ne jamais redescendre,
une fois atteint le point où, basculant
de l'autre côté de la montagne,
il se perd en terre inconnue,
filant entre éboulis de rocaille
et forêts tragiques, sur des pentes
plus sèches et jaunes, dilué au soleil
dans les plaines d'Aragon et de Castille.
La faiblesse seule me faisait renoncer,
accrochant mon vain projet aux pierres pointues,
comme ces touffes de poils prises dans les ronces,
que les bêtes, pour atteindre baies et mûres,
abandonnent au vent. Finalement,
dissout dans le halo bleuté de la fenêtre,
j'ai rejoint je ne sais quel labrit égaré qui,
plus sûrement que moi, saurait retrouver
la douce chaleur d'un autre corps.

(24 novembre 2014)

dimanche 23 novembre 2014

Aquarium (extrait)


Je finis par sortir
Manuel Portalès non
pensais être libéré
univers cloitré confiné
de la chambre clinique
odeurs et bruits des
aiguilles partout du
coton dans les muscles
les os les poumons
enfin regard happé
voitures arbres ciel
air de juin accueillant
sons déliés des oiseaux
boulevards fleuris
femmes en jupes
nus-pieds débardeurs
les premiers jours
le trottoir conserva dans
ma façon de déambuler
hésitante un insecte des
traces du long couloir lino
passants d'une insouciance
infantile puis tout rentra
dans le désordre des rues
chez moi rue Maletache
je redécouvris les objets
naïfs odeur du café frais
pain grillé musique blabla
l'épaisseur de ma présence
mon lit joyeux cela ne dura
pas je pensais Manuel
Portalès est là-bas quelle
heure est-il hall de la 
clinique il feuillette
un journal et suit la
noria des ambulances
le plus souvent ne
dépassait pas l'office
m'avait un jour dit qu'un
rien le faisait renoncer
pas dit à quoi il se
plantait devant la fenêtre
de la chambre regardait
les toits jusqu'au dîner j'eus
envie de lui rendre visite
besoin dès le lendemain
me taraudait alors
je retournai voir Manuel
Portalès pas surpris
se dit même content.

Aquarium, Éditions du Cygne (2014)
Sur le Biladi, entre Sète et Tanger, au large de l'Espagne. 17 mai 2007, 17h22. ©JJMarimbert


jeudi 20 novembre 2014

La nuit 15


Cette nuit, l'Autan souffle si fort
que les volets chantent,
les cyprès sont fous,
le lampadaire titube, et,
du trottoir au tissu d'étoiles gonflé à bloc,
tout ce que j'ai jeté par la fenêtre
tourne avec les feuilles sèches,
je vois passer dans un grand tourbillon
les années, les images, les carnets
où je note tout, c'est inutile, mais
je m'accroche à, à quoi, et les étagères,
le bureau, la chaise, mille petits riens,
tout est soulevé par les cris du vent,
ou bien est-ce moi qui crie,
je ne reconnais pas ma voix,
maintenant c'est la porte qui bat,
elle est toujours ouverte, qui sait,
après tout tu n'es pas si loin,
mais ce vent rappelle une page
de Moby Dick, ou du Quichotte,
je ne sais plus, agrippé au garde-corps,
il n'y a plus rien dans la chambre,
il faudra que je pense à racheter un lit,
j'oublie tout, le vent est d'une violence,
je ne sais comment j'ai fermé la fenêtre,
un oiseau se débat, quelle idée,
ses ailes tapent contre la vitre,
son bec pique le mur, et,
au moment où je crains le pire,
je n'entends plus rien,
je me demande même si tu existes,
mais non, c'est ridicule,
autant demander si la mer est salée.

(20 novembre 2014)

mardi 18 novembre 2014

Sauvage ontologie 32


Au loin batifolent et s'entretuent
les rumeurs de la ville, terreau
des incendies, des leurres, des images
où scintillent les idéaux mythiques,
où les balles font de l'amour une proie,
où la douceur coule des regards
au milieu des gravats et des cris.
La grande marée dépose sur le sable,
algues rouges et coques vides,
débris de bois, de filets, de cageots,
et tous les rêves de marins inconnus.
Alors commence le vrai voyage,
l'errance, ni terme ni fil, au gré du vent,
seule façon de caresser le monde,
de s'y perdre afin de renaître,
de narguer la mort à chaque pas,
voyages de Sinbad ou de Cristoforo, 
de Marco Polo et du Captain Cook,
de La Pérouse disparu à Vanikoro,
toujours là-bas avec ses équipages,
vaillants découvreurs des hauts-fonds,
cuir tanné par le sel et la soif de ciel,
vers d'autres terres, d'autres mers,
des îles et des côtes sauvages, habitées
de femmes gracieuses et de pêcheurs
de perles bleues, loin de tout,
à l'ombre bariolée des cocotiers,
ainsi, l'être file entre les rochers,
traque l'horizon et sillonne l'absence,
attendait-il son train retardé
pour cause de rails rouillés.

(18 novembre 2014)
Hendaye, 13 août 2014, 16h34. ©JJMarimbert


La nuit 14


Cette nuit, j'ai cru bien faire
en laissant les volets ouverts,
pour donner moins de prise au vent.
Peut-être aussi voulais-je t'envoyer un signe,
accrocher un mouchoir blanc disant
Monte, je suis seul, je t'attends, j'ai froid,
et toi aussi, dans l'encoignure glacée
de l'immeuble d'en face.
En vérité, pas plus d'immeuble
que de frêle silhouette surgie du néant,
je me montais surtout le bourrichon,
figé devant la danse des cyprès
sur les murs de la chambre,
théâtre chinois, lune en carton de Méliès,
assemblée de fantômes, tragique armée
déboulant de l'Hadès, et moi, sur l'Achéron,
tronc blafard balloté par le courant,
à la surface d'une eau moirée à carreaux
bleus et noirs. J'ai préféré en rire.
Pleurer, certes, a le mérite de soulager,
et de raviver la chaleur du visage de l'enfant
enfoui dans l'oreiller, aussi froissé que les draps,
morveux à souhait, qui m'évoquait
le repli de l'escargot dont j'observais avec envie,
entre mes doigts crottés, la souple disparition,
jusqu'à ne laisser au creux de ma main
qu'une coquille bouchée.
Mais rire, sur le moment, a fait surgir
une scène de plage, à l'ombre de pins
agités par le vent de mer,
accueillant les embruns lancés
par les vagues irritées,
nos mains jouant sur la serviette.
Un volet s'étant détaché, j'ai dû me lever
pour en finir, laisser entrer l'obscurité,
le silence, la nuit,
un œil jeté vers le ciel
raclé par l'Autan, jusqu'aux étoiles.

(18 novembre 2014)

dimanche 16 novembre 2014

La nuit 13


La nuit, au moment des grandes marées,
à l'assaut du cap et des dents de roche,
le sable ne reflète parfois qu'un ciel
de nuages bordé par la ville endormie,
dans une lumière striée de pluie fine,
des cargos forment une guirlande ténue
à l'horizon, et de grands voiliers sillonnent
mes entrailles houleuses et noires.
Lorsqu'un ciel dégagé troué d'étoiles
me guide, dans mon cabotage chaotique,
j'aperçois au loin les côtes déchirées,
des criques de galets plats, des falaises
rayées d'oiseaux ivres, que le faisceau
rouge de mes yeux réveille et affole.
Des traces de pas, mirage ou rêve éveillé,
m'attirent dans d'inextricables forêts où
bruisse une vie secrète, à l'abri du ressac,
fragile vie des ombres, et là, je guette
le moindre sourire, le plus petit souffle
dont la chaleur diffuse sous les draps,
caresse mon corps balloté par la brise.
Parfois, je croise une silhouette gracieuse,
je devine des cheveux, je bricole un regard,
et, au petit matin, le parquet de la chambre
roule et tangue tant, que partagé, entre
joie et incrédulité, je dois m'accrocher
au bastingage pour ne pas passer
par dessus bord et courir dans la rue,
criant à tue-tête le nom d'une inconnue.

(16 novembre 2014)

samedi 15 novembre 2014

Sauvage ontologie 31


Je de miroir sans tain ni reflet
piège des statues de marbre
perte de l'écho des yeux morts
seul un halo de présence enfuie
tiède buée d'un souffle de miel
haleine sucrée sur une épaule nue
mots ruminés distillés séduisants
chuchotis de chapelle secrète
douces lèvres offertes en ce jeu
de trompe-l'œil ouvert sur le vide
sur l'abîme du mensonge innocent
des fresques ensoleillées retraçant
les grandes batailles les amours tus
les courses folles à travers champs
des enfants se tenant par la main
doux visages de combat mêlé de
caresses trompeuses de rires brisés
corps enlacés à l'ombre des pins
tombant dans les râles de l'oubli
alors l'être livré à lui-même résiste
à l'air chargé de senteurs exotiques
inventées au cœur de la nuit
lorsque les draps humides du sel
des pupilles sont le linceul du temps
comprit-il enfin l'essentiel du
chant des merles dans le figuier
aux branches lourdes de fruits
dans le vent frais des montagnes.

(15 novembre 2014)

mercredi 12 novembre 2014

La nuit 12


Cette nuit, la colère l'a emporté sur tout,
sur l'abyssale solitude des Mortels,
sur la perte de confiance en soi en tous,
confiance de pacotille, leurre de diamant,
l'attaque en règle de l'usage des mots,
cailloux, fleurs, aveux, caresses, appels
lancés au visage, en l'air retombent en pluie,
en volutes de suie aussi noire que la nuit,
quand la nuit s'effondre sur elle-même,
puis explose, fascinante et morbide,
colère d'Achab, contre soi, rentrée,
au fond du ventre, des poumons ouverts,
cœur blanchi de sel et de cris d'oiseaux,
tenace défi chevillé au corps blessé,
à marcher de long en large, de la porte
à la fenêtre, du garde-corps au lit-océan,
colère distillée dont le dénouement est
une nuit plus profonde encore, je ne sais,
colère de l'enfant, de l'ange, lui, toujours là,
non par la perte d'un jouet, mais sans objet,
ou bien le jouet c'est le monde, oui,
ou un regard à peine offert aussitôt refusé,
évanoui, évaporé, soudain si lointain,
colère contre le vide, contre l'absence,
ou celle de l'homme serrant dans ses bras
un nuage que le soleil fait fondre,
qui se retrouve à ne plus savoir
ce qu'il cherche, ni même s'il cherche,
colère face à l'injustice des tortures,
colère de l'homme arraché à l'humus,
homme femme, c'est égal, colère de trop,
elle signe la perte radicale de ce qui irrigue
la vie, associée à un refus du spectacle,
à la légèreté écrasante de la farce sociale.
Peut-être faut-il en passer par cette colère,
pour laisser être les interstices de jour,
et là encore, colère d'en être réduit à cela,
tout regard dilué dans l'eau pourrie
d'une déréliction sans dieux, pur abandon.
Cette nuit, une saine colère, tendresse bafouée,
l'a emporté sur tout, jusqu'à s'éteindre
dans un corps fourbu, ne laissant que des braises,
un horizon fragile, le voile déchiré du destin.

(12 novembre 2014)
Toulouse, Cathédrale Saint-Étienne, Ange. 12 novembre 2014, 16h23. ©JJMarimbert