De ma fenêtre

De ma fenêtre
Toulouse, 5 juillet 2014, 21h15

jeudi 30 octobre 2014

Sauvage ontologie 28


Ce qui est tu malaxé sous la langue
entre les dents se coule écrasé
tiède salive des mots laminés
retombe dans le vide l'obscurité
des molles muqueuses traversées
d'acide indolore de suc cérébral
se répand jusqu'au tréfonds des os
fait se mouvoir les yeux affolés
sous les paupières veinées de bleu
retient ce qui tu ne va cesser de butter
de glisser d'envahir de saigner de revenir
au point de couture d'enfermement
là tout près du toi du je mais
que fais-tu là-bas le vertige est tu
recouvert à la va-vite d'un badigeon
de tristesse imprévue familière têtue
mêlée de couleurs diluées délavées
ce qui est tu à l'affût se tient là
sous la peau dans gestes et regards
frémissements des muscles agacés
affleure et griffe l'être au dépourvu
devant un vélo une rue au soleil
un portail entrouvert des branches sciées
des canards s'ébrouant dans leur eau
à l'ombre épaisse d'un grand saule 
un distributeur de café au petit matin
la fragilité d'une abeille sur la vitre
l'alarme du métro dans l'imminence
de quoi dans l'urgence du refus
le claquement des portes le chant
d'un enfant jetant au ciel son bâton
dans l'esquisse l'ébauche la brûlure
d'un dialogue avec le rien avec qui
ce qui est tu du soi le moi n'est rien
avec l'absence rejetée refusée niée
dans son obsédante vibration d'élytre
endurci par le vent de haute mer
la joie inconsolable d'avoir un instant
serré ces mots entre ses mains voilà
ce qui est tu ce qui est lancé
laça-t-il pour la énième fois
ses chaussures dans le sous-bois
envahi de lierre et de ronces
saturé d'humus et de pluie parfumée.

(30 octobre 2014)
Toulouse, Jardin des Plantes, 25 octobre 2014, 11h55. ©JJMarimbert


mardi 28 octobre 2014

Sauvage ontologie 27


Le rideau bouge laisse deviner
formes et mouvements hachés
bras hanche un pied dépasse
chaussure de cuir jaune à grelot
l'énervement précède le désir agacé
ballet des innocents maquillage
leurres et carnaval de grimaces
de sourires lèvres pulpeuses
en papier ruminé mâcher n'est rien
le soleil tombe à l'horizon ou la lune
une poussière d'étoiles envahit le décor
nuage irisé dans la lumière en douche
soudain plus rien petit lampion
est-ce un œil est-ce un animal
un enfant caché au fond de la gorge
lance une poignée de confettis
le velours grenat se lève enfin
sur le festin des spectres
longue table dressée dans une rue
chaises hautes chandeliers de pacotille
les plats fument mais il n'y a rien
tout se met à bouger tanguer rouler
pas un spectateur obscurité totale
rangées de sièges repliés
l'être peut faire ripaille
la nuit va commencer
la farandole des moments perdus
des jours à venir des robes envolées
la danse endiablée des regards et des mots
la beauté souple d'une silhouette
à portée de main effleurée
buvait-il un verre de vin italien
rêvant de passer un col plein ciel.

(28 octobre 2014)
Toulouse, 28 octobre 2014, 16h12. ©JJMarimbert


vendredi 24 octobre 2014

La nuit 7


La nuit est une offrande,
à la frontière, au littoral,
à l'horizon aussi, me dis-je.
L'idée se met à trotter de ci de là,
entre l'oreiller et la peau du lit,
me laissant au beau milieu du désert,
pantois, au bout d'un pointillé de pas,
sans eau, sans chèche, ni rien d'autre
qu'un épiderme exaspéré par
le souvenir du soleil et le mirage
d'une oasis. C'est une vieille histoire,
que celle de l'épiderme,
dedans, dehors, tout commence,
tout finit, enfin, je me tourne vers le mur,
l'ombre inversée des livres entassés
par la rétine, collés, dents serrées, à me toiser,
je balaye le plafond à peine plus amène,
renonce à la fenêtre, une si vieille histoire,
on n'en sort pas, avant même d'y entrer,
et là, de barreaux, nul, de sortie, non plus.
La nuit est une offrande, l'idée s'est mise
à galoper, la frontière est partout,
je suis la frontière, le littoral et,
et quoi, le drap est doux de ma douceur,
chaud de ma chaleur, et sous le drap,
le monde, c'est vite dit, mais le monde,
le monde est le centre et l'horizon.
Je n'ai plus qu'à me taire et marcher,
mais parfois, un visage passe, et mes yeux,
moi dans mes yeux, devrais-je dire, tout entier,
je me jette au dehors, un visage passe,
et je le ramène lentement, je le caresse,
je ferme les yeux, je m'y tiens.
Une très vieille et belle histoire,
entre l'oreiller et la peau du lit.

(24 octobre 2014)

jeudi 23 octobre 2014

Destin d'un ange (extrait)


Je l’ai caché personne n’a
rien vu quelque chose en
moi qui n’était pas moi
trop tard me suis refermée.
Je travaillais n’osais plus
me parler ça me brûle je
me demande si c’est arrivé
et ça bouillonne poumons
cœur un tambour je me
fracasserais les os aspirée
par le feu la même ritournelle.
Je sais il faut que je parle
le plus possible pas réfléchir
sortir l’abcès je suis toute
détruite et j'aime tant la vie
et ce que je dis je l’entends à
peine loin loin appel d'un bord
à l'autre de l'étang mains cornet
le vent plie le maïs casse les
plumeaux les arbres se battent
on a beau s’époumoner un coq
l'autre attrape des riens hachés
même soi les oreilles coquillages
où la mer se démène et siffle
pour rien. La mer pensez vous
verriez l’étang chez nous à
la ferme une flaque noire.

"Destin d'un ange", extrait (Éd. du Cygne, 2012)
Jean Cantaloup, "Torremolinos", 1969, détail.


mardi 21 octobre 2014

Sauvage ontologie 26


Assiettes rincées verres brillants
sur fond de radio près des biscuits
là-bas la guerre drames et bombes
regard perdu vers le figuier
le mur de briques un chat blanc
traverse le parking aucun rescapé
bateau vétuste rouillé jusqu'à l'os
plier le linge mains à plat
pas d'eau pendant des jours
combien nul ne sait ciel bleu
caresser les tissus assouplis par la vie
les longues marches en ville
au soleil ou pluie battante
coton cicatrisé usé fidèle
aimer cela ces gestes ranger
inondé de musiques du monde
écrire un rien s'évader
par la petite porte des mots vanité
pour réprimer l'envers le massacre
le puits le fond du gouffre
la pesanteur du corps flottant
le tirer par les cheveux le cou
demain il devrait faire beau
poster une lettre à qui ce visage
radieux la douceur même la rue
les arbres auréolés de dentelle
sourire à une passante déjà loin
rejoindre le fleuve le grand pont
au fil de l'être passe la mort
au loin alors danser dedans dehors
hop hop les quais s'enflamment
frissonna-t-il de plaisir
pensant à son premier amour.

(21 octobre 2014)

La nuit 6


La nuit, portes et fenêtres claquent,
entre rêve et réalité,
entre ici et ailleurs, où le temps
flotte dans l'indétermination
des vents capricieux,
sous les coups de boutoir
d'une horde invisible
armée jusqu'aux chicots.
Souffle de l'arrogance,
brise ou tempête, alizé ou aquilon,
rafale, tornade ou cyclone,
l'hybris fait virevolter meubles et livres,
jusqu'aux draps et à mon corps
traversé d'éclairs noirs,
dans l'air confiné de la chambre
au parfum de rhum des pirates.
Happé par la porte tambour
de l'imagination incendiée,
j'entre dans un hôtel aux couloirs
interminables tapissés de toiles peintes,
scènes de bataille gigantesques,
marines exotiques, portraits, se succèdent.
Sous les regards sévères ou doux,
hautains ou aimants,
vides ou apeurés,
j'avance pas à pas, aussi démuni
qu'Er de Pamphylie,
d'une nudité d'écorché hésitant
à ramasser un sort jeté à terre.
Chaque porte cache une énigme,
aucune ne s'ouvre, pourtant
aucune n'est fermée.
J'entends des bruits ambigus,
râles d'extase ou de mort,
paroles étouffées ou chuchotées,
et l'éventail des cris, des rires,
rhapsodie houleuse qui toujours
annonce meurtre ou jouissance,
orgasme ou dernier souffle,
venin de vengeance ou secret d'amour.
Alors j'accroche une voile au soleil,
des yeux clairs, un sourire,
un paysage de montagnes bleues,
le reflet d'une île passée à la chaux,
et m'y réfugie pour enfin
glisser dans l'inconnu.

(21 octobre 2014)
Toulouse, 24 octobre 2009. ©JJMarimbert


dimanche 19 octobre 2014

Sauvage ontologie 25


Au bord des chemins sinueux
semés de fins sabots
cils d'herbe offerts au ciel
par d'invisibles pétales
aux dentelles de cimes
des falaises blanchies de sel
nids accrochés au vent jeté
pleins d'œufs blancs tachetés
de poivre noir et de sang
dans le silence des rivières
molles et douces à l'ombre
des saules des châtaigniers
hérons plantés dans l'eau
des terrasses ornées de colonnes
protégées du soleil par
le regard vide des dieux
au bout des jetées
où s'envolent les pensées
dans l'attente des voiles muettes
de l'apaisement des canons
devant une porte entrouverte
le murmure de la vie retenue
le halo des visages sous la lampe
où se livrent les secrets du corps
la patience de l'être est infinie
cette écoute du souffle de l'ivresse
se demandait-il s'il trouverait
les mots pour apaiser ses nuits
ses jours et sa peau à l'affût.

(19 octobre 2014)

vendredi 17 octobre 2014

La nuit 5


La nuit, ne cherchant plus
de corps absent sous le drap,
et las de consulter un réveil
dont le temps n'est, à l'évidence,
pas le souci depuis des années,
je drague mollement les fonds bleutés
de ma chambre avec un filet de traîne.
Intrus des profondeurs, je frôle
d'une main des parois alvéolées
où algues, coraux et anémones
ondulent à mon passage,
dans l'affolement soudain
de créatures multicolores et souples,
aux formes complexes en lisière des abysses.
Je ne me suis jamais aventuré au-delà,
m'agrippant à la thermocline,
sachant qu'un jour
un infime dérèglement moléculaire
aura des conséquences catastrophiques,
me poussant à explorer le fin fond.
En attendant, ce que je ramène me suffit,
et m'étonne assez pour saper
tout désir de nuit complète.
Enchevêtrées dans des laminaires
arrachées au sable gris,
je trouve de pures merveilles,
ici une traversée d'Espagne
sur la route des vacances,
entre oliviers et villages brûlés,
là le parfum des orangers au petit matin,
dans la lumière de Nice,
et toujours, des rires et
des paroles murmurées,
des lèvres auréolées de joie,
et tes yeux,
tandis que les corps tutoient les planètes.
Le bric-à-brac tragi-comique de la vie,
mêlé aux débris de coquillages,
passe à travers les mailles,
enfin, pas toujours.
Quand je remonte, le souffle coupé,
sans me sécher je bondis
vers la fenêtre,
pour assister au lever du jour.

(17 octobre 2014)

mardi 14 octobre 2014

La nuit 4


Au cœur de la nuit, le silence
bat son vide, hors ma respiration,
soumise aux fluctuations capricieuses
répercutées par mes artères,
du ramdam de ma houle crânienne,
filtre pulsatile faisant battre mes tempes,
falaises au pied desquelles je m'échoue,
bien obligé de repartir à la nage
en quête d'un littoral plus accueillant,
m'empêchant de goûter l'apaisement
de la chambre, de la rue, de l'avenue,
que des lampadaires ensommeillés
baignent d'une lumière falote.
Alors, barbotant çà et là, je faseye
entre l'ombre des étagères
gorgées de livres, et
la rectitude de la porte entrebâillée.
Rares sont les fêtards
gueulant sur les trottoirs du quartier,
sauf à s'être égarés un peu plus,
et, dans l'art de l'égarement flou,
je le dis en toute modestie,
j'en connais un rayon.
Bref, je ne bouge pas.
Je tends l'oreille au possible,
et, comble de l'émotion,
ayant à grand-peine gommé
les visages surgis d'habitude
comme au jeu de massacre,
je n'en garde qu'un, tu le sais,
et, du plus lointain,
lamparo dans les ténèbres,
vibre le sang des tam-tams.

(14 octobre 2014)
Toulouse, 9 octobre 2014, 7h38. ©JJMarimbert


samedi 11 octobre 2014

Sauvage ontologie 24


Fenêtre entrouverte s'envole
un moineau froufrou de plumes
silence alors ouvrir le ciel gris
clair et mat sauter sur le trottoir
avancer peu importe ici ou là
toujours ce grouillement dedans
au fond des yeux glissent emmêlés
arbres et maisons passants pressés
s'enfoncer tenter de oui de quoi
dire ou chanter ce qui mais quoi
la vie et c'est tout oui la belle vie
et les corps la chaleur des corps
douceur de la peau effleurée
profondeur insondable des pupilles
offertes au hasard des nuits chaudes
creuser le sous-sol métro blafard
traverser boulevards places ponts
sur le fleuve le canal la voie ferrée
battent les rails jamais n'atteignent
l'horizon façades aux balcons sales
vélos tables maigres étagères
surplombent le lacis des rues
toits en feu sous une pluie salée
ne plus voir qu'un halo de ville
à travers le voile de la vanité
du renoncement du mutisme
lorsque l'être de papier s'efface
chantait-il à tue-tête un air
de cerises et de coquelicots.

(11 octobre 2014)
Toulouse, Métro, 18 février 2011. ©JJMarimbert